Atefeh,
Je te fais suivre ce texte par la liste car je n'en ai pas
d'autres copies et j'en voudrais en avoir.
A bientot,
dda
---------- Forwarded message ----------
Date: Fri, 15 Mar 1996 19:10:48 -0800 (PST)
From: DERRICK ALLUMS <dallums@xxxxxxxx>
To: foucault@xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx
Cc: foucault@xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx
Subject: Re: French text of English preface part 2
(la suite de Preface a l'edition anglaise)
4) J'aimerais que le lecteur penetre dans ce livre comme dans un
site ouvert. De nombreuses questions y ont ete posees, qui n'ont pas
encore trouve de reponses; et, parmi les lacunes, nombreuses sont celles
qui revoient soit a des travaux anterieurs, soit a des travaux qui ne
sont pas encore acheves, ou meme commences. Mais je voudrais evoquer
trois problemes.
Le probleme du changement. On a dit de ce livre qu'il niait la
possibilite meme du changement. La question du changement est pourtant
ce qui a constitue mon souci principal. En fait, deux choses en
particulier m'ont frapper: d'une part, la maniere soudaine et radicale
avec laquelle certaines sciences ont parfois fait l'objet d'une
reorganisation; et, d'autre part, le fait qu'a la meme epoque des
changements similaires sont intervenus dans des disciplines en apparence
tres differentes. En l'espace de quelques annees (autour de 1800), on a
remplace la tradition de la grammaire generale par une philolgie
essentiellement historique; ordonne les classifications naturelles selon
les analyses de l'anatomie comparee; fonde une economie politique dont
les themes principaux etaient le travail et la production. Face a une
combinaison aussi surprenante de phenomenes, il m'est apparu qu'il
fallait examiner ces changements de plus pres, sans chercher, au nom de
la continuite, a reduire leur soudainete ou a restreindre leur portee.
Il m'a semble, au depart, qu'il s'operait a l'interieu du discours
scientifique differents types de changement --des changements qui
n'intervenaient pas au meme niveau, ne progressaient pas au meme rythme
et n'obeissaient pas aux memes lois; la maniere dont, a l'interieur d'une
science particuliere, de nouvelles propositions s'elaboraient, de
nouveaux faits etaient isoles et de nouveaux concepts forges (autant
d'evenements qui font la vie quotidienne d'une science) ne ressortissait
pas, selon toute probabilite, au meme modele que l'apparition de nouveaux
champs d'etude (et la disparition souvent concomitante des anciens); mais
l'apparition de nouveaux champs d'etude, a son tout, ne doit pas etre
confondue avec ces redistributions globables qui modifient non seulement
la forme generale d'une science, mais aussi ses rapports avec d'autres
domaines du savoir. Il m'a semble, en consequence, qu'il ne fallait ni
reduire tous ces changements a un meme niveau, ni les faire se rejoindre
en un seul point, ni davantage les rapporter augenie d'un individu, ou
d'un nouvel esprit collectif, ou meme a la fecondite d'une seule
decouverte; qu'il serait mieux de respecter ces differences, et meme
d'essater de les saisir dans leur specificite. C;est dans cet esprit que
j'ai entrepris de decrire la combinaison des transformations
concomitantes a la naissance de la biologie, de l'economie politique, de
la philologie, d'un certain nombre de sciences humaines et d'un nouveau
type de philosphie a l'oree du XIXe siecle.
Le probleme de la causalite. Il n'est pas toujours aise de
determiner ce qui a entraine un changement specifique a l'interieur d'une
science. Qu'est-ce qui a rendu cette decouverte possible? Pourquoi ce
nouveau concept est-il apparu? D'ou est venue cette theorie? Et
celle-la? De telles questions sont souvent extremement embarrassantes,
car il n'existe pas de principes methodologiques bien definis sur
lesquels on puisse fonder ce genre d'analyses. L'embarras augmente dans
lecas de changements generaux qui transfoment une science globalement. I
s'accroit encore dans le cas ou l'on a affaire a plusieurs changements
qui se correspondent. Mais la ou il atteint sans doute son comble, c'est
dans le cas des sciences empiriques, car si le role des instruments , des
techniques, des institutions, des evenments, des ideologies et des
interets y est tout a fait manifest, on ne sait pas comment opere
vraiment une articulation a la fois aussi complexe et diversement
composee. Il m'est apparu qu'il ne serait pas prudent, pour le moment,
d'imposer une solution que je me sentais incapable, je l'admets, de
proposer: les explications traditionnelles --l'esprit du temps, les
changements technologiques ou sociaux, les influences de toutes sortes--
m'ont paru, pour la plupart, plus magiques qu'effectives. J'ai donc,
dans ce livre, laisse de cote le probleme des causes (note: j'ai aborde
cette question en rapport avec la psychiatrie et la medecine clinique
dans deux ouvrages anterieurs.) pour choisir de me limiter a la
description des transformations elles-memes, considerant que cela
constituerait une etape indispensable si une theorie du changement
scientifique et de la causalite epistemologique devait, un jour, prendre
forme.
Le probleme du sujet. En distinguant entre le niveau
epistemologique du savoir (ou de la conscience scientifique) et le niveau
archeologique, j'ai conscience de m'engager dans une voie tres
difficile. Peut-on parler de la science et de son histoire (et donc de
ses conditions d'existence, de ses transformations, des erreurs qu'elle a
commises, des avancees soudaines qui l'ont projetee dans une direction
nouvelle) sans faire reference au scientifique lui-meme --et je parle non
seulement de l'individu concret represente par un nom propre, mais de son
oeuvre et de la forme particuliere de sa pensee? Peut-on envisager, avec
quelque validite, une histoire de la science qui retracerait du debut a
la fin tout le mouvement spontane d'un corps de savoir anonyme? Est-il
legitime, est-il meme utile de remplacer le traditionnel "X pensait que
..." par un "on savait que ...?" Mais la n'est pas exactement le projet
que je me suis donne. Je ne cherche pas a nier la validite des
biographies intellectuelles, ou la possibilite d'une histoire des
theories , des concepts ou des themes. Je me demande simplement si de
telles descriptions sont en elles-memes suffisantes, si elles rendent
justice a l'extra-ordinaire densite du discours scientifique, s'il
n'existe pas, hors de leurs frontieres havituelles, des systemes de
regularite qui jouent un role decisif dans l'histoire des sciences.
J'aimerais savoir si les sujets responsables du discours scientifique ne
sont pas determines dans leur situation, leur fonction, leur capacite de
perception et leurs possibilites pratiques par des conditions qui les
dominent, et meme les ecrasent. Bref, j'ai essaye d'explorer le discours
scientifique non pas du point de vue des individus qui parlent ni du
point de vue des structures formelles qui regissent ce qu'ils disent,
mais du point de vue des regles qui entrent en jeu dans l'existence meme
d'un tel discours; quelles conditions Linne (ou Petty, ou Arnauld)
devait-il remplir non pas pour que son discours soit, d'une maniere
generale, coherent et vrai, mais pour qu'il ait, a l'epoque ou il etait
ecrit et recu, une valeur et une application pratiques en tant que
discours scientifique --ou, plus exactement, en tant que discours
naturaliste, economique ou grammatical?
Sur ce point aussi, je suis bien conscient de n'avoir pas
beaucoup porgresse. Mais je ne voudrais pas que l'effort que j'ai
accompli dans une direction fut pris comme un rejet de toutes les autres
approches possibles. Le discours en general, et le discours scientifique
en particulier, constitue une realite si complexe qu'il est non seulement
possible, mais necessaire de l'aborder a des niveaux differents et selon
des methodes differentes. S'il est une approche, pourtant, que je
rejette categoriquement, c'est celle (appelons-la, en gros,
phenomenologique) qui donne une priorite absolue au sujet de
l'observation, attribue un role constitutif a un acte et pose son point
de vue comme origine de toute historicite --celle, en bref, qui debouche
sur une conscience transcendentale. Il me semble que l'analyse
historique du discours scientifique devrait, en dernier lieu, ressortir a
une theorie des pratiques discursives plutot qu'a une theorie du sujet de
la connaissance.
5) Je voudrais, pour terminer, adresser une priere au lecteur de
langue anglaise. En France, certains "commentateurs" bornes persistent a
m'apposer l'etiquette de "structuraliste." Je n'ai pas reussi a imprimer
dans leur esprit etroit que je n'ai utilise aucune des methodes, aucun
des concepts ou des mots clefs qui caracterisent l'analyse structruale.
Je serais reconnaissant a un public plus serieux de me liberer d'une
association qui, certes, me fait honneur, mais que je n'ai pas meritee.
Il se peut qu'il existe certaines similitudes entre mon travail et celui
des structuralistes. Il me sierait mal --a moi plus qu'a tout autre-- de
pretendre que mon discours est independant de conditions et de regles
dont je suis, pour une bonne part, inconscient, et qui determinent les
autres travaux effectues aujourd'hui. Mais il n'est que trop facile de
se soustraire a la tache d'analyser un tel travail en lui apposant une
etiquette ronflante mais inadequate.
-------------------------------------------------------------
Et ben voila. C'est tout. Je vous prie de nouveau de me pardonner les
fautes de frappe. On se rejoint alors lundi?
ciao et a bientot,
dda
------------------
Je te fais suivre ce texte par la liste car je n'en ai pas
d'autres copies et j'en voudrais en avoir.
A bientot,
dda
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Date: Fri, 15 Mar 1996 19:10:48 -0800 (PST)
From: DERRICK ALLUMS <dallums@xxxxxxxx>
To: foucault@xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx
Cc: foucault@xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx
Subject: Re: French text of English preface part 2
(la suite de Preface a l'edition anglaise)
4) J'aimerais que le lecteur penetre dans ce livre comme dans un
site ouvert. De nombreuses questions y ont ete posees, qui n'ont pas
encore trouve de reponses; et, parmi les lacunes, nombreuses sont celles
qui revoient soit a des travaux anterieurs, soit a des travaux qui ne
sont pas encore acheves, ou meme commences. Mais je voudrais evoquer
trois problemes.
Le probleme du changement. On a dit de ce livre qu'il niait la
possibilite meme du changement. La question du changement est pourtant
ce qui a constitue mon souci principal. En fait, deux choses en
particulier m'ont frapper: d'une part, la maniere soudaine et radicale
avec laquelle certaines sciences ont parfois fait l'objet d'une
reorganisation; et, d'autre part, le fait qu'a la meme epoque des
changements similaires sont intervenus dans des disciplines en apparence
tres differentes. En l'espace de quelques annees (autour de 1800), on a
remplace la tradition de la grammaire generale par une philolgie
essentiellement historique; ordonne les classifications naturelles selon
les analyses de l'anatomie comparee; fonde une economie politique dont
les themes principaux etaient le travail et la production. Face a une
combinaison aussi surprenante de phenomenes, il m'est apparu qu'il
fallait examiner ces changements de plus pres, sans chercher, au nom de
la continuite, a reduire leur soudainete ou a restreindre leur portee.
Il m'a semble, au depart, qu'il s'operait a l'interieu du discours
scientifique differents types de changement --des changements qui
n'intervenaient pas au meme niveau, ne progressaient pas au meme rythme
et n'obeissaient pas aux memes lois; la maniere dont, a l'interieur d'une
science particuliere, de nouvelles propositions s'elaboraient, de
nouveaux faits etaient isoles et de nouveaux concepts forges (autant
d'evenements qui font la vie quotidienne d'une science) ne ressortissait
pas, selon toute probabilite, au meme modele que l'apparition de nouveaux
champs d'etude (et la disparition souvent concomitante des anciens); mais
l'apparition de nouveaux champs d'etude, a son tout, ne doit pas etre
confondue avec ces redistributions globables qui modifient non seulement
la forme generale d'une science, mais aussi ses rapports avec d'autres
domaines du savoir. Il m'a semble, en consequence, qu'il ne fallait ni
reduire tous ces changements a un meme niveau, ni les faire se rejoindre
en un seul point, ni davantage les rapporter augenie d'un individu, ou
d'un nouvel esprit collectif, ou meme a la fecondite d'une seule
decouverte; qu'il serait mieux de respecter ces differences, et meme
d'essater de les saisir dans leur specificite. C;est dans cet esprit que
j'ai entrepris de decrire la combinaison des transformations
concomitantes a la naissance de la biologie, de l'economie politique, de
la philologie, d'un certain nombre de sciences humaines et d'un nouveau
type de philosphie a l'oree du XIXe siecle.
Le probleme de la causalite. Il n'est pas toujours aise de
determiner ce qui a entraine un changement specifique a l'interieur d'une
science. Qu'est-ce qui a rendu cette decouverte possible? Pourquoi ce
nouveau concept est-il apparu? D'ou est venue cette theorie? Et
celle-la? De telles questions sont souvent extremement embarrassantes,
car il n'existe pas de principes methodologiques bien definis sur
lesquels on puisse fonder ce genre d'analyses. L'embarras augmente dans
lecas de changements generaux qui transfoment une science globalement. I
s'accroit encore dans le cas ou l'on a affaire a plusieurs changements
qui se correspondent. Mais la ou il atteint sans doute son comble, c'est
dans le cas des sciences empiriques, car si le role des instruments , des
techniques, des institutions, des evenments, des ideologies et des
interets y est tout a fait manifest, on ne sait pas comment opere
vraiment une articulation a la fois aussi complexe et diversement
composee. Il m'est apparu qu'il ne serait pas prudent, pour le moment,
d'imposer une solution que je me sentais incapable, je l'admets, de
proposer: les explications traditionnelles --l'esprit du temps, les
changements technologiques ou sociaux, les influences de toutes sortes--
m'ont paru, pour la plupart, plus magiques qu'effectives. J'ai donc,
dans ce livre, laisse de cote le probleme des causes (note: j'ai aborde
cette question en rapport avec la psychiatrie et la medecine clinique
dans deux ouvrages anterieurs.) pour choisir de me limiter a la
description des transformations elles-memes, considerant que cela
constituerait une etape indispensable si une theorie du changement
scientifique et de la causalite epistemologique devait, un jour, prendre
forme.
Le probleme du sujet. En distinguant entre le niveau
epistemologique du savoir (ou de la conscience scientifique) et le niveau
archeologique, j'ai conscience de m'engager dans une voie tres
difficile. Peut-on parler de la science et de son histoire (et donc de
ses conditions d'existence, de ses transformations, des erreurs qu'elle a
commises, des avancees soudaines qui l'ont projetee dans une direction
nouvelle) sans faire reference au scientifique lui-meme --et je parle non
seulement de l'individu concret represente par un nom propre, mais de son
oeuvre et de la forme particuliere de sa pensee? Peut-on envisager, avec
quelque validite, une histoire de la science qui retracerait du debut a
la fin tout le mouvement spontane d'un corps de savoir anonyme? Est-il
legitime, est-il meme utile de remplacer le traditionnel "X pensait que
..." par un "on savait que ...?" Mais la n'est pas exactement le projet
que je me suis donne. Je ne cherche pas a nier la validite des
biographies intellectuelles, ou la possibilite d'une histoire des
theories , des concepts ou des themes. Je me demande simplement si de
telles descriptions sont en elles-memes suffisantes, si elles rendent
justice a l'extra-ordinaire densite du discours scientifique, s'il
n'existe pas, hors de leurs frontieres havituelles, des systemes de
regularite qui jouent un role decisif dans l'histoire des sciences.
J'aimerais savoir si les sujets responsables du discours scientifique ne
sont pas determines dans leur situation, leur fonction, leur capacite de
perception et leurs possibilites pratiques par des conditions qui les
dominent, et meme les ecrasent. Bref, j'ai essaye d'explorer le discours
scientifique non pas du point de vue des individus qui parlent ni du
point de vue des structures formelles qui regissent ce qu'ils disent,
mais du point de vue des regles qui entrent en jeu dans l'existence meme
d'un tel discours; quelles conditions Linne (ou Petty, ou Arnauld)
devait-il remplir non pas pour que son discours soit, d'une maniere
generale, coherent et vrai, mais pour qu'il ait, a l'epoque ou il etait
ecrit et recu, une valeur et une application pratiques en tant que
discours scientifique --ou, plus exactement, en tant que discours
naturaliste, economique ou grammatical?
Sur ce point aussi, je suis bien conscient de n'avoir pas
beaucoup porgresse. Mais je ne voudrais pas que l'effort que j'ai
accompli dans une direction fut pris comme un rejet de toutes les autres
approches possibles. Le discours en general, et le discours scientifique
en particulier, constitue une realite si complexe qu'il est non seulement
possible, mais necessaire de l'aborder a des niveaux differents et selon
des methodes differentes. S'il est une approche, pourtant, que je
rejette categoriquement, c'est celle (appelons-la, en gros,
phenomenologique) qui donne une priorite absolue au sujet de
l'observation, attribue un role constitutif a un acte et pose son point
de vue comme origine de toute historicite --celle, en bref, qui debouche
sur une conscience transcendentale. Il me semble que l'analyse
historique du discours scientifique devrait, en dernier lieu, ressortir a
une theorie des pratiques discursives plutot qu'a une theorie du sujet de
la connaissance.
5) Je voudrais, pour terminer, adresser une priere au lecteur de
langue anglaise. En France, certains "commentateurs" bornes persistent a
m'apposer l'etiquette de "structuraliste." Je n'ai pas reussi a imprimer
dans leur esprit etroit que je n'ai utilise aucune des methodes, aucun
des concepts ou des mots clefs qui caracterisent l'analyse structruale.
Je serais reconnaissant a un public plus serieux de me liberer d'une
association qui, certes, me fait honneur, mais que je n'ai pas meritee.
Il se peut qu'il existe certaines similitudes entre mon travail et celui
des structuralistes. Il me sierait mal --a moi plus qu'a tout autre-- de
pretendre que mon discours est independant de conditions et de regles
dont je suis, pour une bonne part, inconscient, et qui determinent les
autres travaux effectues aujourd'hui. Mais il n'est que trop facile de
se soustraire a la tache d'analyser un tel travail en lui apposant une
etiquette ronflante mais inadequate.
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Et ben voila. C'est tout. Je vous prie de nouveau de me pardonner les
fautes de frappe. On se rejoint alors lundi?
ciao et a bientot,
dda
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