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Nuit avec les «martyrs» à Gaza
Pour les chefs des brigades Al-Aqsa, l'opération
d'Israël est «vouée à l'échec».
Par Didier FRANCOIS
Le mardi 09 avril 2002
Gaza envoyé spécial
Nuit calme, ciel dégagé. La soirée idéale. Aucun
hélicoptère, même en approche par la mer, ne saurait
surprendre les guetteurs. Rare moment de quiétude pour
ces dirigeants des Brigades des martyrs d'Al-Aqsa,
assis en cercle autour d'un brasero. Traqués sans
relâche par l'armée d'Israël, les commandants de la
résistance palestinienne ne s'offrent guère de répit.
Chaque jour, une voiture nouvelle, empruntée au hasard
dans un lot constamment surveillé. Les chauffeurs,
triés sur le volet, dorment dans le véhicule, afin de
s'assurer qu'aucun émetteur n'y a été dissimulé qui
pourrait guider un missile. Autre source de danger,
les téléphones portables ainsi que leurs puces sont
remplacés fréquemment. Louées sous de fausses
identités, les planques servent rarement plusieurs
nuitées de suite. Pourtant, bien que nocturne et
clandestin, le conclave des chefs militaires du Fatah
prend vite des allures de pique-nique à la belle
étoile. Les effluves d'un tabac capiteux flottent sous
la tonnelle. Des rires couvrent le gargouillis des
pipes à eau. Sur les braises flamboyantes chauffe une
bouilloire. Du thé bédouin, suave, confit d'être
recuit.Palabres. Au menu des discussions, le bilan de
l'opération israélienne dans les villes de
Cisjordanie, l'analyse du discours du président
américain, la sécurité de Yasser Arafat reclus dans sa
résidence assiégée, les plans de défense de Gaza, si
d'aventure les chars de Tsahal venaient à y entrer.
Puis le débat, sans fin, sur les conditions de la
paix. Vastes questions et opinions nombreuses. La
détermination partagée à combattre ne semble en rien
induire le monolithisme des avis. Les décisions sont
prises au consensus, à l'issue de longues palabres.
Chacun apporte sa part et parle sans retenue : le
stratège, l'artificier, le commandant,
l'organisateur... Tous sont écoutés, aucun n'est
oublié. «Voilà pourquoi leur offensive Rempart était,
dès le départ, vouée à l'échec, estime l'un des
responsables parmi les plus respectés des brigades
Al-Aqsa, les Israéliens croient qu'ils ont affaire à
un réseau terroriste, dont il suffirait de liquider
les chefs ou les techniciens, grâce à un bon coup de
pied dans la fourmilière palestinienne, pour être
enfin tranquilles. Ce dont ils ne se rendent pas
compte, c'est qu'ils doivent faire face à
l'exaspération de tout un peuple qui apporte un
soutien sans faille à l'aile armée de la résistance.
Même si les Israéliens décapitaient tout le Fatah, de
Yasser Arafat jusqu'aux chefs locaux, ils n'auraient
toujours pas réglé leur problème. Les fondations de la
résistance sont aujourd'hui suffisamment solides pour
encaisser ce coup. Nos structures sont suffisamment
collectives pour se reconstituer dans des délais
extrêmement brefs. Nos compétences techniques sont
désormais suffisamment diffusées pour ne plus jamais
devoir disparaître.»Listes. Dix jours après avoir
lancé ses blindés à l'assaut des «infrastructures
terroristes» en Cisjordanie, les résultats de Tsahal
ne sautent pas aux yeux des spécialistes de la lutte
patiente contre les réseaux clandestins. Nasser Awaïs,
commandant en chef des brigades Al-Aqsa, résisterait
toujours dans la casbah de Naplouse. Aucun de ses deux
principaux adjoints, les responsables régionaux basés
à Ramallah et à Gaza, n'a été arrêté. Quand bien même
le seraient-ils, ce sont des dirigeants militaires
plus que de véritables organisateurs, comme l'étaient
Tahiya Da'amseh et Ahmed el-Mograbi, tués par les
troupes israéliennes à Bethléem. Leurs noms figuraient
sur une liste de 33 suspects. Au cours des derniers
pourparlers avortés en vue d'un cessez-le-feu, à la
veille du sommet arabe de Beyrouth, la délégation
israélienne avait exhibé une nouvelle liste de 105
«cadres et responsables» dont elle réclamait
l'incarcération. Au nombre de ces Palestiniens
recherchés, Abdelhakim Awaïs a été arrêté avec 22
combattants lors du siège de l'immeuble de Natché à
Ramallah. Les Israéliens ont également mis la main sur
six militants du Fatah et six islamistes de l'aile
militaire du Hamas, la brigade Ezzedine al-Qassem,
lors de leur raid sur la prison du quartier général de
la sécurité préventive de Beitounia. Enfin, Aljias
Safouri, patron du Djihad islamiste à Jénine, se
serait retranché dans le camp de réfugiés de la ville,
totalement cerné par les chars.Las d'attendre. «Maigre
succès pour une si vaste opération, constate sobrement
un dirigeant des brigades Al-Aqsa. Bien entendu, le
gouvernement israélien va essayer de jouer la montre
pour profiter au maximum des prolongations sous le
regard bienveillant de l'arbitre américain. Mais, quoi
qu'il lui en coûte, George Bush a dû siffler la fin de
cette manche, sous peine de voir déborder la rue arabe
et balayer ses alliés dans la région. Pour nous,
survivre est déjà une victoire. Chaque attaque contre
la résistance et contre l'Autorité palestinienne
renforce l'unité nationale palestinienne. Si Ariel
Sharon croit pouvoir garantir la sécurité d'Israël en
faisant la guerre aux Palestiniens, il commet une très
grave erreur. Après dix-huit mois de répression,
d'asphyxie économique, de punitions collectives, ce
sont les Palestiniens qui exigent que nous portions le
feu en Israël. Ils sont las d'attendre que la société
israélienne se réveille et réclame la fin de
l'occupation, le retrait de ses soldats et des colons
de nos territoires. Désormais, les Palestiniens
pensent que les Israéliens doivent eux aussi connaître
la souffrance et la peine, qu'ils doivent se rendre
compte que l'option militaire ne leur permettra plus
jamais de vivre tranquilles et qu'il leur faut revenir
à des négociations politiques sérieuses sur le statut
final de l'Etat palestinien. La paix se paie au prix
du sang.»A l'heure où Colin Powell se dispose à une
médiation de la dernière chance, les responsables des
Brigades des martyrs d'Al-Aqsa espèrent que le patron
de la diplomatie américaine aura bien intégré cet
élément. «Quand bien même nous voudrions arrêter les
responsables des attentats en Israël, nous ne le
pourrions pas dans les conditions actuelles,
préviennent les commandants de la branche armée du
Fatah, et même si le président Yasser Arafat devait
nous en donner l'ordre, nous ne pourrions pas le
mettre en oeuvre tant que les forces israéliennes
occuperont nos territoires. Si, en revanche, les
Etats-Unis entendent imposer une solution au conflit,
relancer les pourparlers pour en finir définitivement
avec l'occupation des territoires palestiniens envahis
en 1967, ils trouveront en nous des partenaires
sérieux. Notre génération, celle qui a dirigé la
première révolte des pierres, qui dirige aujourd'hui
cette Intifada, a vécu avec les Israéliens, elle parle
l'hébreu, comprend la culture israélienne, comprend
les besoins de sécurité d'Israël. C'est la génération
qui, en 1996, a brisé les reins au Hamas, au Djihad
islamique, pour protéger le processus de paix. Une
chance unique pour Israël. En cherchant à liquider
cette génération, en poussant les Palestiniens au
désespoir, Ariel Sharon prend très sciemment le risque
d'hypothéquer l'avenir.».




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